La Croix : Pourquoi lui ?
François Busnel : C’est une forme d’évidence pour moi. Au moins pour deux raisons : Jim Harrison est un romancier et poète de haut jus, avec un souffle rabelaisien qui peut aider le plus grand nombre à vivre mieux. L’art, la musique, les livres, le cinéma ne sont pas des objets décoratifs. Ils ont le pouvoir de nous installer, de nous mettre sur la route, de nous reconnecter avec qui nous sommes. Jim Harrison agit sur nos émotions. Il va bien. Cela nous transforme.
je lis dalva, à 20 ans et ça a été un choc. Ce livre m’a poussé à regarder ailleurs, à élargir mes horizons, à faire ce travail et pas seulement à en rêver. Tourner aux USA, découvrir les indiens et une contre histoire.
Alors tout son travail répond à la question : quelle planète laisserons-nous à nos enfants en héritage ? Jim Harrison est l’un des plus grands penseurs de l’écologie, même s’il n’a jamais utilisé ce mot. Il est dans la lignée de Montaigne, le père et prédécesseur de William Thoreau, lors de la Nature Writing (genre littéraire américain, note éditoriale). En renouant avec le monde sauvage, on renoue avec la nature humaine. Pendant cette période, nous soumettons les citadins au stress, nous sommes soumis à des impératifs de performance, de rentabilité et nous nous éloignons de nous-mêmes.
Avez-vous déjà pensé à un film ?
Facebook. : J’ai fait un “Road Book” avec lui en 2011 pour la télévision. À l’époque, je voulais depuis des années que ce soit un film sur la nature et la nature avec Jim Harrison plutôt qu’un portrait de lui. Quand il a finalement accepté, après de multiples souvenirs, il m’a invité à ne pas me contenter de ce que je savais faire. Plans courts de son paysage, avec ses plis comme des canyons, sa valise sous ses yeux comme des lacs, sa barbe comme une forêt primaire ; des plans larges en portée et en grand espace et une rédaction qui privilégie les amplitudes, le temps long, les plans fixes, les détails et le quotidien. En établissant ces principes, il suffisait de suivre cet homme au physique de cyclope, à la démarche de grizzly, et de nous laisser tomber par sa voix caverneuse. Les éditeurs ont donné au son de la nature et de la vie la fierté du lieu. La musique n’intervient qu’en contrepoint.
→ CRITIQUE. “Seule la terre est éternelle”, le testament spirituel d’un vieux sage du Montana
Savait-il que c’était le dernier été de sa vie ?
Facebook : A notre arrivée, Adrien Soland (Co-réalisateur du film, ndlr) il m’a dit: “Il sait qu’il va mourir.” Je n’y crois pas. Big Jim a tout survécu : la dépression, la drogue, l’alcool, la solitude, les hivers rigoureux, les étés très rigoureux, la pauvreté, la gloire. Tout est venu beaucoup plus tard, lors du montage. Adrien a raison. J’ai découvert qu’il nous avait fait un cadeau : insolent et joyeux, il nous offrait le testament spirituel d’un homme au crépuscule de sa vie. Pourquoi ne l’ai-je pas vu, regardé, regardé, écouté ? Nous avons filmé la fragilité d’un homme à bout de souffle, entre respect et pudeur. Il nous est apparu, sans charme, sans l’image déguisée des beaux vieillards. Il s’est présenté à nous, fatigué mais droit, souriant, avec ses cicatrices bien visibles, sans automutilation, ni le cri habituel.
→ LIRE ET. Jim Harrison, Désert
Quelle était la nature de votre relation ? Depuis combien de temps le connaissez-vous ?
Facebook : Je l’ai simplement rencontré en 1999 en tant que lecteur au Festival Étonnants Voyageurs de Saint-Malo. Puis, après être devenu journaliste, j’ai eu la chance de prolonger nos entretiens par des moments vécus, à Paris et chez moi aux Etats-Unis. On a pêché ensemble, on a beaucoup parlé, de tout et de rien, et on a cuisiné. Tant de moments spéciaux qui ont consolidé une connexion ont renforcé cette relation.
Qu’est-ce que ça t’a apporté ?
Facebook : Ce qui m’a manqué pendant longtemps : savoir comment je vis l’instant. Avant, j’étais juste pressé, la course. Je me suis projeté. Je lis ses livres comme un schizophrène, séduit par son hédonisme du moment présent mais toujours en plein galop. Au retour de ce tournage, à la fin de l’été 2015, j’ai démissionné de L’Express et de Lire. Le relire m’amène à réduire la part de comédie et à me rapprocher de la vérité des êtres que j’aime. Jim a dit: “Si vous n’avez pas une heure tous les soirs pour cuisiner, quittez votre travail !” »
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